Le Partenariat des organisations de la société civile pour l’efficacité du développement (POED), une plateforme d’organisations de la société civile couvrant sept régions et huit secteurs, salue le document final du 3e Forum sur le suivi du financement du développement (FdD). Des évolutions positives sont à noter, telles que la reconnaissance de la prise en charge par les pays eux-mêmes des processus nationaux de développement, l’accent mis sur la nécessité de remplir les engagements pris à l’échelle mondiale et une approche nuancée du soutien public total au développement durable (TOSSD en anglais) et du financement mixte. Nous apprécions que la cohérence des politiques par rapport au programme d’action d’Addis-Abeba ait été mise en avant. Nous saluons le fait que le document final reconnaisse les principes de l’efficacité du développement et le rôle crucial du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement dans la promotion de ces principes. D’autre part, tant le document final que le rapport de l’IITA nous rappelle du chemin qui reste à parcourir et nous devons reconnaître les lacunes et les défis qui demeurent.
Des milliards aux billions pour transformer le financement du développement ? Il faudra aller plus loin que l’objectif de 0,7 % du RNB à l’APD.
Récemment publiés, les chiffres de l’aide pour 2017 suggèrent que l’augmentation de l’aide publique au développement (APD) en 2016, en termes réels, était largement due à l’augmentation de la part des budgets d’APD utilisée pour les réfugiés dans les pays donateurs. Les dépenses consacrées aux réfugiés ont baissé en 2017, entraînant une baisse générale de l’APD. Si l’APD aux PMA a nettement augmenté, en réalité, la communauté internationale est toujours loin en dessous de l’objectif mondial de 0,7 % du RNB consacré à l’APD (en moyenne, l’APD provenant des pays membres du CAD représente à peine 0,31 % du RNB cumulé de ces pays) et est encore loin des objectifs d’aide aux PMA.
Le mantra « Des milliards aux billions pour transformer le financement du développement » (issu d’une étude de la Banque mondiale) semble avoir permis aux partenaires du développement d’ignorer l’engagement de 0,7 %, hormis quelques exceptions. L’échec des pays du CAD à porter l’APD à 0,7 % de leur RNB est d’autant plus inquiétant à la lumière des besoins de financement pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Nombreux sont les gouvernements qui suggèrent que les flux de financement devraient provenir d’autres sources que l’APD. Cette approche a servi à diminuer la pertinence de l’aide et à détourner l’attention du fait que de nombreux gouvernements ne respectent pas leur engagement vis-à-vis de l’objectif de 0,7 %. Si les gouvernements, en particulier les partenaires du développement, souhaitent pallier au manque de financement pour atteindre les ODD par le recours à d’autres sources de financement, ils devraient montrer l’exemple et non seulement respecter cet objectif mais aller au-delà de 0,7 %.
L’APD est plus pertinente que jamais
Couvrir le besoin de financement qu’exigent les ODD est un défi majeur, mais il ne répond qu’à une facette du problème, à savoir la quantité. L’autre facette, tout aussi importante et qui mérite notre attention, concerne la qualité du financement du développement.
L’un des principes centraux de l’APD est l’élimination de la pauvreté, ce qui est en contradiction profonde avec d’autres flux financiers internationaux qui sont motivés par le profit. Cette distinction ne peut être mise de côté, en particulier dans le contexte des ODD, puisque l’APD est le seul flux financier international qui vise explicitement à servir les intérêts de la population. Nous notons avec regret que l’APD est constamment détournée de son objectif principal, à savoir l’élimination de la pauvreté, et nous recommandons aux gouvernements de redoubler de prudence lorsqu’ils décident où les ressources publiques seront allouées et comment elles le seront. Le POED considère que le but explicite de servir les intérêts de la population et de sortir les personnes de la pauvreté est intrinsèque à l’APD, et ceci devrait être préservé.
Rendre l’APD davantage efficace
Comparée à d’autres flux financiers internationaux, l’APD est unique, car elle repose sur une série de principes et un processus de soutien pour la rendre plus efficace. Les principes de l’efficacité du développement que sont l’appropriation nationale, l’intégration, la transparence, la responsabilisation et les résultats constituent un échafaudage important pour soutenir la qualité de l’APD. À l’inverse d’autres flux financiers internationaux, nous sommes en mesure d’évaluer et éventuellement d’améliorer la qualité et l’efficacité de l’APD en appliquant ces principes aux flux d’APD et nous devrions mettre tout en œuvre pour les appliquer, tant lors de l’élaboration des politiques que lors de leur application.
Le POED soutient fermement le programme de l’efficacité du développement et nous regrettons que la mise en œuvre des engagements liés à ce programme, tels que l’instauration d’un environnement favorable à la société civile, le déliement de l’aide et le recours à des systèmes nationaux, entre autres, ait été lente et ait même régressé dans certains cas. L’accomplissement du « travail inachevé » depuis la Déclaration de Paris s’est fait trop attendre. Le POED appelle les gouvernements à redoubler d’efforts et à établir des objectifs assortis de délais pour honorer ces engagements de longue date.
Le POED soutient également les appels à appliquer ces principes au-delà de l’APD, c’est-à-dire aux autres flux financiers internationaux, en particulier les financements privés, qui, d’une certaine façon, tirent profit de l’APD. L’APD ne doit pas saper les principes de l’efficacité du développement auxquels elle est censée adhérer. Il importe d’écarter ce risque.
Alors que le financement mixte est mis en avant, le POED préfère adopter une attitude prudente en l’absence de systèmes de responsabilisation avancés pour surveiller l’incidence des flux financiers que suppose un tel financement. Déplacer l’attention sur le rôle catalyseur de l’APD risque de diluer son objectif principal, qui est d’éliminer la pauvreté, et de la rendre moins transparente car les « flux catalysés » sont plus difficiles à surveiller.
Les risques associés au financement mixte et aux autres instruments innovants Le POED continue d’exprimer des réserves quant aux efforts entrepris pour détourner les ressources déjà limitées de l’APD vers des instruments financiers peu sûrs dont l’utilité publique n’est pas explicite. Le discours autour de ces instruments ne fait qu’entrevoir des possibilités et ne prend que rarement en compte les coûts d’opportunités et les risques associés, qui ont le potentiel de saper les ODD.
Le recours accru aux ressources publiques comme l’APD pour mobiliser des ressources financières nouvelles en provenance du secteur privé par l’intermédiaire, entre autres, du financement mixte et de partenariats public-privé, comporte des risques intrinsèques élevés. Le risque de mobiliser des ressources privées va plus loin que la question de leur efficacité en matière de financement du développement. En l’absence de mécanismes de surveillance et de gestion appropriés, un tel financement pourrait aussi faire régresser le programme du développement. Par exemple, l’utilisation d’instruments découlant du financement mixte pourrait très bien accroître l’aide liée, ce qui est en contradiction directe avec le programme de l’efficacité du développement.
Afin de réduire ces risques, il importe de mettre en place des systèmes de responsabilisation pour veiller à ce que les acteurs aussi bien publics que privés respectent, entre autres, les protocoles de l’OIT et des Nations Unies, les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Des systèmes doivent être mis en place pour faire en sorte que ces modalités de financement soient alignées sur les stratégies nationales de développement démocratiquement adoptées dans les pays, qu’elles soient totalement transparentes et incluent des mécanismes de responsabilisation, et qu’elles respectent pleinement les normes internationales existantes en matière de droits de l’homme et d’environnement. Le rôle des OSC, des syndicats et des représentants des travailleurs est crucial ici pour obliger les entreprises à rendre des comptes. En l’absence de telles garanties, nous ne pouvons soutenir les mécanismes de financement public-privé par rapport aux mécanismes purement publics, qui doivent se prêter à l’examen du public.
Des stratégies de développement faibles en matière d’appropriation démocratique
Le POED estime que l’alignement de la coopération au développement sur les stratégies de développement nationales n’est pas suffisant pour faire en sorte que les individus pauvres et marginalisés soient maîtres de leur propre développement. Qu’elles soient Nord-Sud, Sud-Sud ou triangulaires, les stratégies de développement nationales doivent être centrées sur les personnes pauvres et assurer la participation et la responsabilisation des parties prenantes et des citoyens desquelles le développement doit servir les intérêts. Par conséquent, bien qu’il soit absolument nécessaire que l’ensemble des flux financiers internationaux soient alignés sur les stratégies de développement nationales, il est tout aussi important de garantir que ces stratégies reposent sur l’appropriation démocratique.
L’autonomisation des femmes
L’autonomisation des femmes ne peut se restreindre aux investissements en faveur de l’égalité des sexes et à leurs incidences économiques à l’échelle nationale. Elle doit porter sur l’accès des femmes et des filles à leur autonomie et à leurs droits économiques. Les partenaires du développement sont toujours loin d’allouer les ressources nécessaires à l’application de l’égalité des sexes, à l’exercice des droits des femmes et à leur autonomie. Nous appelons les gouvernements à augmenter les ressources dans ces domaines.
La coopération Sud-Sud
Nous soutenons que la coopération Sud-Sud (CSS) doit compléter et non supplanter la coopération Nord-Sud. Cependant, cela ne signifie pas que la CSS ne doit pas adhérer aux mêmes principes et normes sur lesquelles repose l’APD. Autrement dit, la CSS doit également respecter les droits de l’homme et des travailleurs, soutenir l’égalité des sexes et être centrée sur les personnes pauvres et la durabilité de l’environnement.
Le POED rappelle que les discussions sur le financement, en particulier le financement pour un développement durable, doivent préserver l’appropriation nationale et garantir un espace politique démocratique, aligner tout type de coopération sur les principes de l’efficacité du développement, avancer dans la mise en œuvre du programme de l’efficacité du développement, maintenir l’APD axée sur l’élimination de la pauvreté et enjoindre le secteur privé à faire preuve d’efficacité, à respecter les droits de l’homme et les mécanismes de sauvegarde. Le suivi du financement du développement doit s’efforcer de réformer le système actuel de gouvernance mondial, mettre fin aux déséquilibres de pouvoir et s’attaquer aux problèmes systémiques.